vendredi 11 juillet 2014

Extrait 1

Pour vous, chers lecteurs, premier extrait de mon roman :


Prologue


L’homme descend lentement l’escalier. Les épaules sont voûtées, la démarche est lourde comme sont pesants les pas qu’il lui faut accomplir chaque jour depuis presque un mois.
Dans la pénombre de la cuisine qu’éclaire chichement un ciel maussade et pluvieux, il ranime le feu. Ses gestes sont lents, mécaniques, empreints d’une grande lassitude. Il met la cafetière à chauffer, puis actionne la pompe au-dessus de l’évier. Le contact de l’eau froide lui fait du bien, dissipe les miasmes d’une nuit sans sommeil.
Il n’a pas encore remarqué le petit rectangle de papier posé, bien en évidence, au centre de la table. Ce n’est que lorsqu’il s’assoit devant son bol fumant que son œil le détecte.
Son regard s’attarde sur l’écriture familière, mais il ne bouge pas. Une angoisse sourde le pousse à retarder l’instant où il lira ces lignes qui lui sont destinées. Les yeux rivés sur la trame blanche du billet où son nom se détache en lettres majuscules, il avale, gorgée après gorgée, un café qui lui semble de plus en plus amer.
Il sait que, lorsqu’il aura lu, son pressentiment deviendra réalité. Enfin, il se décide, prend une profonde inspiration et saisit le feuillet.
L’écriture est fébrile, l’encre diluée par endroits par des traces de larmes.
Son visage ne laisse rien paraître de l’émotion qui l’étreint, mais ses grandes mains d’homme tremblent tandis qu’il replie lentement le billet et le glisse dans sa poche.
Maintenant, il sait. Son instinct ne l’avait pas trompé. Le temps s’est figé et il reste là, assis, immobile, pétrifié.
Une main timide se pose sur son épaule. Il sursaute.
– C’est toi, petiote ? dit-il sans se retourner. Je ne t’ai pas entendue descendre.
Adeline se penche et dépose un baiser sur sa joue :
– Bonjour, papa. Comment te sens-tu ce matin ? As-tu réussi à dormir ?
Le timbre de sa voix, étrangement haut perché, sonne faux. Dans cette pièce où le silence des absents remplit l’espace, le désarroi de son père n’en paraît que plus palpable. Les sens en alerte, elle entend la respiration rauque et sifflante qui s’échappe péniblement de la poitrine du vieil homme.
Quelque chose ne va pas. Elle le sent, elle le sait dans son cœur et dans sa tête.
Un frisson la parcourt tout entière. Elle tente de se raisonner. Que pourrait-il advenir de pire que le drame qu’ils ont déjà vécu ?
Elle regarde son père dont les épaules s’affaissent à son corps défendant, et une bouffée de tendresse la submerge.
Alors, pour briser ce silence qui nourrit son angoisse grandissante, elle demande d’une voix dont elle force le naturel :
– Sais-tu où est Marie ? Elle n’était plus dans son lit quand je me suis réveillée.
La réponse tarde à venir, puis elle tombe :
– Elle est partie.
– Comment ça, partie ? Partie où ? Pourquoi ?
L’adolescente le fixe. Une expression d’incrédulité fige ses traits, puis la peur s’insinue, dilate ses pupilles. Martin observe le cheminement d’une souffrance identique à la sienne sur ce visage juvénile que la panique déforme peu à peu.
Il voudrait la prendre dans ses bras, la rassurer, mais il ne le peut pas. Sa gorge nouée devient douloureuse sous l’effort qu’il s’impose. Tout son corps lui fait mal.
Incapable de soutenir plus longtemps ce regard qui s’affole d’angoisse inexprimée, il se lève, enfile sa gabardine et marche vers la porte.
– Je ne sais pas, lâche-t-il enfin, d’une voix sourde. Elle est partie, c’est tout !
Maintenant, il a hâte de sortir, de fuir la pièce confinée où sa douleur est à l’étroit. Il éprouve un besoin irrépressible de marcher dans l’air humide de ce printemps pluvieux pour réfléchir à ce qu’il doit faire et, peut-être aussi, pour pleurer sans que sa fille le voie.

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