mardi 21 octobre 2014



Prochaine séance de dédicaces
Samedi 26 octobre 2014

Leclerc Roques






jeudi 16 octobre 2014

Avis d'une lectrice


Un avis qui me touche particulièrement car il émane d'une lectrice, auteur elle-même, dont la plume légère, poétique réjouit le cœur et l'âme.

Cliquez sur le roman pour lire l'avis :






Retrouvez Brigitte Lesigne sur son site : 

Le miroir des mots

lundi 6 octobre 2014

Extrait 6


Un nouvel extrait...


Elle songea soudain avec angoisse que Pierre n’avait que vingt-trois ans, Adrien vingt-sept. Ils seraient les premiers à partir. Les premiers, peut-être, à… Non, elle ne les laisserait pas faire. Cette guerre n’était pas la leur. Si les hommes étaient assez fous pour s’entre-tuer, eh bien, qu’ils le fassent sans eux. Cela ne les concernait pas. Pierre ne partirait pas, Adrien, non plus !
Le carillon du magasin tinta joyeusement, suivi d’une cavalcade dans l’escalier. La voix de Pierre se fit entendre, claire, exaltée :
– Maman, cria-t-il en brandissant le journal à bout de bras. On a tué Jaurès. Cette fois-ci, on n’y coupe pas.
– On va leur mettre une avoinée aux Pruscos ! renchérit Adrien qui arrivait sur ses talons. On va leur faire comprendre une bonne fois pour toutes que…
Il s’arrêta net, brisé dans son élan patriotique par le visage livide de Marie.
– Ben, c’est vrai quoi ! reprit-il décontenancé. On les remet à leur place un bon coup, et on en parle plus.
Sous le regard tranchant qu’elle lui lança, il se sentit, brusquement, redevenir le galopin indiscipliné qu’elle corrigeait d’une calotte.
– Tais-toi, dit-elle d’une voix sourde. Ça vaudra mieux que de dire des bêtises.
Pierre s’approcha doucement et la prit dans ses bras. Il la dépassait d’une bonne tête mais avait gardé, à son égard, les gestes affectueux de son enfance.
– T’inquiète pas, m’man ! souffla-t-il à son oreille. Adrien a une façon un peu crue de dire les choses, mais c’est lui qui a raison. Puisque, maintenant, la guerre est inévitable, autant y aller de bon coeur et en finir rapidement. Plus tôt on réglera le problème, plus vite on sera rentrés.
– Et tes études ? Tu y penses à tes études ? Tu ne vas tout de même pas les abandonner.
L’obstination de sa mère à nier l’évidence le fit sourire.
– J’ai bien peur qu’on ne me laisse pas le choix, maman. Mais, ne t’inquiète pas, je les reprendrai à mon retour. C’est l’affaire de quelques semaines, quelques mois tout au plus… Tu verras, à Noël, tout cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
Il glissa son index replié sous son menton, comme le faisait Guillaume autrefois, et la força à relever la tête. Elle vit, dans la similitude du geste, un signe de bon augure.
– Je passerai Noël avec toi, je te le promets, fit-il en effleurant sa joue d’un baiser.
Elle essuya furtivement une larme et se remit à touiller la daube pour se donner une contenance. Elle s’en voulait de s’être laissée aller devant les enfants, mais la peur l’amollissait, lui coupait les jambes, explosait dans sa tête en éclats déchirants.
« Seigneur, qu’allons-nous devenir ? » songea-t-elle. Dans un éclair de lucidité elle sut, instinctivement, que cette peur viscérale, animale, qui lui tordait les entrailles, allait devenir sa compagne fidèle, implacable, durant les jours, les semaines, voire les mois à venir.
Derrière elle, les jeunes gens commentaient la nouvelle à voix basse, comme s’ils craignaient de la choquer par leur lyrisme tricolore. Seule Lucie restait silencieuse.
« Elle a compris, elle aussi », pensa Marie. Elle a compris que sa jeunesse, son insouciance allaient partir en même temps que Pierre. Que rien ne serait jamais plus comme avant. Il faut un coeur de femme pour sentir ça. Les hommes, eux, étaient trop prompts à s’enflammer. Même les plus raisonnables trouvaient dans les mots Honneur, Patrie, un prétexte à jeter leur gourme. Ça leur tenait le ventre. Mais, elles, que leur restait-il pour tenir debout dans ce monde pris de folie destructive ?
La voix de Pierre la tira de ses réflexions amères :
– Je raccompagne Lucie chez elle, fit-il en repoussant sa chaise. Je serai de retour avant midi.

Extrait 5


Un nouvel extrait pour vous :


Sa mère arrivait à leur rencontre. Pierre lâcha la main protectrice de Jeanne et se précipita dans sa direction. Le besoin de se faire pardonner lui donnait des ailes. Quand il arriva à sa hauteur, il s’aperçut qu’elle souriait. Allons, tout allait bien ! La disgrâce n’était pas pour aujourd'hui.
Marie regardait Pierre venir à elle.
« Mon fils ! » pensa-t-elle avec une fierté qu’elle ne songeait pas à dissimuler. Comme chaque fois qu’elle posait les yeux sur lui, elle sentit son cœur de mère se gonfler d’orgueil. Du coup, elle en oublia le sermon qu’elle avait préparé et sourit en accélérant le pas.
Dans la lumière poudreuse du couchant, l’enfant courait, ivre de soleil et de grand air, vivante réplique de Guillaume dont il ne connaissait même pas l’existence.
La jeune femme ouvrit les bras, et il s’y jeta, levant vers elle ses yeux couleur émeraude. Elle le serra plus fort, bouleversée par cette ressemblance qui s’accentuait au fil des années. C’était le même sourire, le même éclat tendre et espiègle dans le regard, la même façon de froncer le sourcil quand il était contrarié.
Depuis bientôt cinq ans, elle s’efforçait d’effacer Guillaume de sa mémoire, mais n’y était pas parvenue. Le temps ne lui avait pas accordé la grâce de l’oubli, et son image était toujours aussi vivace. Il ne se passait pas un jour sans qu’un regard, un geste, une parole, n’éveillât en elle un écho douloureux. Les similitudes qu’elle découvrait alors chez son fils ravivaient ses souvenirs que son esprit, réfractaire à toute raison, laissait ressurgir.
Cette ressemblance la mettait à la torture. Pourtant, elle s’en repaissait, en éprouvait une jouissance morbide. Retrouver chez Pierre les traits tant aimés de son amour perdu était une joie et une souffrance de tous les instants.

vendredi 3 octobre 2014

Extrait 4


Pour vous chers lecteurs un nouvel extrait :


Elle reprit connaissance au contact d’une main fraîche et apaisante sur son front. Comment était-elle arrivée dans cette chambre aux murs peints à la chaux, avec pour seul ornement un immense crucifix en bois d’olivier ?
Elle n’eut pas le loisir de poser la question. La douleur, un instant oubliée, revint imprimer sa marque comme un fer chauffé à blanc. Une tenaille géante enserrait ses flancs, lui lasserait les reins, relâchait doucement sa pression pour mieux pousser contre son bas-ventre cette boule de chair chaude et dure qui lui fendait le corps en deux. Un gémissement de bête blessée s’échappa de ses lèvres desséchées. Dans un semi-coma, elle perçut une voix lointaine qui avait du mal à se frayer un chemin jusqu'à sa conscience.
– Dieu merci, la voilà revenue à elle ! Crie, ma belle, si ça te soulage ! Moi, ça ne me gêne pas pour faire mon travail.
Marietta entrouvrit les paupières et découvrit une jeune femme au regard noisette et au sourire rassurant, penchée sur elle. Elle lui bassinait les tempes d’un linge humide à la senteur âcre et vinaigrée, mais dont la fraîcheur était agréable.
Le bien-être éprouvé fut de courte durée. À nouveau, son ventre se tordit, s’enflamma, ondula comme un reptile géant déformé par sa proie. Elle se mordit les lèvres jusqu’au sang pour ne pas hurler.
– Allez, ma belle ! Vas-y, pousse ! Pousse encore, encore ! reprit la voix inconnue.
– Faites ce qu’elle vous dit, encouragea la jeune femme à ses côtés en lui prenant la main. Vous pouvez avoir confiance, Jeanne a mis au monde la presque totalité des enfants du village.
Le ventre en feu, Marietta était prête à suivre toutes les directives, dussent-elles émaner du diable en personne, pourvu que cesse son calvaire. Elle avait l’impression qu’une main de fer fouaillait ses entrailles et que son ventre allait éclater comme un fruit trop mûr, gorgé de soleil.
Elle prit une profonde inspiration et poussa de toutes ses forces, enfonçant ses ongles dans la chair tendre de sa compagne.
– C’est bien ! la complimenta la voix sans visage. Encore un petit effort, tu y es presque… Allez, respire un bon coup et… pousse ! Encore… Encore…
Marietta planait dans un état second. Seuls parvenaient à sa conscience les injonctions et les encouragements de la voix rocailleuse qui la guidait sur le chemin de la délivrance. À sa demande, elle poussait, haletait, respirait, poussait encore, avant de retomber inondée de sueur, le corps rompu par tant d’efforts infructueux.
On allumait les chandelles dans la chambre aux volets clos sur la nuit, quand enfin son ventre meurtri expulsa une petite chose douce et ronde qui poussa un cri vigoureux de protestation.
– Te voilà maman d’un solide gaillard, déclara la voix familière en déposant un petit être chaud et vibrant sur son sein.
Marietta ouvrit les yeux et découvrit, enfin, celle à qui elle devait tant. Une femme au visage rond et jovial, à la chevelure grise ébouriffée lui souriait d’un air complice. Ses yeux bleus, délavés par le temps, la couvaient d’un regard bienveillant.
– Merci, murmura Marietta, épuisée.
– Pas de quoi, ma fille ! répondit la femme. C’est toi qui as fait tout le travail. Je n’ai fait qu’aider un peu la nature, c’est tout ! Repose-toi, maintenant. Tu l’as bien mérité. Ce petit bougre nous a donné du fil à retordre !